new york après New York
Les images des événements du 11 septembre 2001, largement diffusées par la télévision relayée par la presse, sont gravées dans la mémoire de chacun, devenant des icônes. L’exposition du Musée de l'Elysée, qui comprend en outre des documents inédits, tente d’analyser les différents usages de la photographie dans ce contexte particulier. Elle se veut une réflexion sur la manière de représenter des réalités complexes par le biais de l’image, à laquelle certains font appel comme un témoignage – indispensable au devoir de mémoire – et que d’autres manipulent pour influencer l’opinion – en faveur de l’idéologie au pouvoir. En tant qu’institution consacrée à la photographie, le musée souhaite mettre l’accent sur les divers rôles joués par le médium plutôt que sur les conséquences des événements, dont la portée historique est bien plus vaste.
Des centaines de photographes professionnels ou amateurs témoignèrent du drame avec des images saisissantes : vision apocalyptique de l’effondrement des tours, exode d’une population couverte de poussière marchant en état de choc, références aux films-catastrophes hollywoodiens. La fiction devenait réalité. Alors que la vidéo permettait de se rendre compte du caractère subit et brutal du choc, des photographies en étaient extraites, isolant les instants décisifs de l’impact, objet de toutes les fascinations. Contrairement à la télévision où le flux constant d’images éphémères était de l’ordre du spectacle hallucinatoire, proche du divertissement, les photographies publiées dans le monde entier permirent le constat des faits, la contemplation d’un chaos indescriptible, voire une réflexion critique. Ainsi fut mise en évidence la dualité de la photographie, à la fois instantané, de l’ordre du choc émotionnel traumatique, et portion d’histoire, soumise à l’analyse et à la remise en question.
Un autre usage de la photographie joua également un rôle important. Les portraits des disparus, de gens aimés aux visages souriants – triste ironie – exposés dans la rue pour servir d’avis de recherche, devinrent au fil des jours des monuments aux victimes décorés de fleurs et de bougies. Dans les images, les pompiers et les policiers furent très vite élevés au rang de héros nationaux, le drapeau devenant immédiatement signe de ralliement patriotique (l’union sacrée proclamée par « United We Stand »). Rapidement, un contrôle de toutes les images produites autour du World Trade Center fut opéré. Une forme d’autocensure de l’ensemble des médias américains se traduisit par une absence d’image de cadavres. Alors se posa la question des limites entre le constat photographique et la propagande politique.
Pourtant, la pulvérisation d’un symbole de la modernité – le gratte-ciel – et le coup porté à la sphère financière, marquaient bien le déclin d’un mythe de toute-puissance. La nostalgie s’exprima à travers la diffusion massive de cartes postales montrant New York encore intacte, alors que la ville dévastée était l’objet d’une récupération esthétique puis commerciale. Un souci profondément éthique apparut toutefois dans l’exposition collective « Here is New York : a Democracy of Photographs », où toute personne souhaitant raconter son expérience des événements pouvait proposer une image, vendue en faveur des victimes.
Au-delà des photographies du réel largement diffusées par les mass media, les artistes apportent leur interprétation particulière des faits. Certaines œuvres, réalisées avant le 11 septembre, expriment des doutes et des craintes prémonitoires. Les créations ultérieures proposent une réflexion plus globale. La photographie est ainsi exposée dans ses multiples fonctions : preuve et témoignage, manipulation et censure, nostalgie d’un mythe et patriotisme, production artistique et nécessité d’une réflexion à long terme.