Placé en orbite du soleil en 2021 par la NASA, en collaboration avec les agences spatiales européenne et canadienne, le télescope James Webb photographie des étoiles situées à des années-lumière de la Terre. Il a notamment capturé le complexe nuageux Rho Ophiuchi (2023).
L’image obtenue est époustouflante, mais bien éloignée des données brutes de l’appareil qui enregistre en noir et blanc des lumières infrarouges invisibles à l’œil nu. Pour obtenir cette image, les scientifiques attribuent des filtres de couleurs aux différentes longueurs d’ondes infrarouges. Par exemple, les plus courtes sont associées au bleu et les plus longues au rouge. Une fois ce codage établi, des designers et des graphistes interviennent pour ajuster la colorimétrie, le cadrage et l’orientation de l’image. Ces choix réduisent l’immensité de l’univers à l’échelle de la perception humaine et construisent l’illusion d’une maitrise, voire d’un contrôle, du cosmos.
Ainsi, les molécules de carbone prennent l’apparence d’un nuage épais et tumultueux, tandis que celles d’hydrogène s’érigent en un rocher rose incandescent. L’espace devient séduisant et s’apparente à un nouveau « paysage » sublime, dans la continuité des peintures romantiques du 19e siècle. Autrefois, c’était la puissance majestueuse des montagnes qui invitait à la conquête et à l’exploration ; aujourd’hui, le « territoire » fantasmé est la galaxie.
Mais cette esthétique n’est pas dénuée d’enjeux politiques. Ces images, loin d’être de simples restitutions objectives de données scientifiques, sont aussi des instruments de communication. Mettant en scène la puissance technologique des gouvernements qui les produisent et les diffusent, elles s’inscrivent dans une logique de conquête, héritée d’une longue tradition militaire. Elles sont d’ailleurs utilisées comme outil publicitaire par Northrop Grumman, concepteur du télescope et l’un des plus grands fabricants d’armement au monde.